Souvenir de vacances rêvé
(Vacance de souvenir rêvée ...)
Là-bas dans les dunes, on peut voir arriver une troupe
hirsute, de pauvres hères claudicants et exténués, avec
un nuage d'insectes qui les surplombe.
(Un peu perturbé semble-t-il, car on devine une grande hécatombe
dans les rangs des minuscules survoleurs, aux brefs parcours chaotiques et anguleux,
qui ne doivent leur apparition qu'à la multitude qu'ils fédèrent
...)
L'âpre odeur, des haleines fétides conjuguées de ces bipèdes
en goguette, les précède.
En plissant les yeux, au fur et à mesure qu'ils s'approchent dans un
brouhaha de fulminations discontinues, et de gémissements outrés,
on distingue des visages recouverts de peintures informes.
Parmi ces faciès hétéroclites, qui effectuent des grimaces
abracadabrantesques (comme disait Rimbaud, autre assidu des lieux exotiques)
certains arborent un étonnant masque, essentiellement pileux.
Une Cour des Miracles chamarrées, porteuse d'une quincaillerie
sophistiquée, discernable par ses multiples reflets sous l'astre impitoyable,
s'est mise en branle comme une caravane fantomatique, à la vue de l'épicerie
signalée par le GPS, (épicentre avec le seul bazar local que les
conflits armés ont réussi à épargner jusqu'à
ce jour).
Ce sont les hordes de la Jet-Set. Privée par les mesures anti-terrorismes
(à l'aéroport d'avant celui où ils ont dégringolé),
de leur tube de dentifrice, de crème à raser, tout autant que
de leurs flacons de cosmétiques, et de leur quart d'Evian (ou de Perrier).
Ces aliénés exogènes, exclus depuis toujours
du tourisme de masse pour des raisons qui leur sont propres (la Fracture Sociale
ne leur ayant pas laissé grand choix), pris au dépourvus dans
leurs habitudes insulaires, se retrouvent soudainement à expérimenter
une vie à l'écart de leur démaquillants et de leur parfums,
de leurs brumisateurs, comme de tout insecticide industriel.
Les aventuriers lunatiques (rescapés de l'autre versant escarpé de la nouvelle société), bien que ne disposant pas non plus de garde rapprochée (et de la valise diplomatique des Claquemurés du Grand Portnàwqk), qui ont fait le choix de voyager à bord d'un bananier au long-cours, ou d'un chalutier déjà à proximité, ne connaissent pas ce genre d'inconvénients hygiéniques.
Et, même si leur trajets s'avèrent plus longs,
ils seront épargnés de ces disconvenues modernes. Le jetlag n'a
pas prise sur les bigorneaux. Privilège de caste.
Mais là où tout le monde est logé à la même
enseigne : c'est que, pour "effectuer ses besoins", si l'ambition
- raisonnable somme toute -, serait de renouveler l'opération dans un
futur proche, il est fortement recommandé d'éviter les mines antipersonnelles.
C'est ainsi que jusqu'alors, peu ont saisi la quasi-utopique poésie de
ce panonceau racorni qui orne tant bien que mal l'entrée d'une espèce
de terrain-vague, plus ou moins couvert, jouxtant le restaurant :
"On est priés de laisser cet endroit dans l'état où
on l'a trouvé".
Délicieuse coutume, un rien désuète, qui veut que les usagers
de cet à-côté de l'aire civilisée et climatisée
(- mais privée d'eau, momentanément : l'eau valant plus cher que
le pétrole en ces contrées, on ne peut que s'exécuter),
se prient mutuellement.
(Un peu comme s'ils envisageaient qu'un Dieu les avait faits à son image).
Comme unis, vaille que vaille, dans une foi borgne, les habitants se recroquevillent
sur un espoir-ricochet : premièrement, celui vital de manger et boire,
(pour mieux se côtoyer, peut-être de temps en temps, dans un élan,
superflu mais atavique, de convivialité ?).
Avant de pouvoir s'isoler utilement, à nouveau, dans un second temps.
Ce qui n'est pas étonnant, dans ce rituel : Leurs congénères
se montrent comme solidaires des culs de jattes, des manchots, et autres estropiés
sans pieds, ces habitués qui n'ont pourtant pas respecté la consigne,
(puisque leur passage aux WC n'est pas passé inaperçu) mais sont
systématiquement absous, dans le même optimisme post-alimentaire.
A en croire Mimile-le-Roi-de-l'Olive (de son vrai nom, Michel : le "taûlier"
autoproclamé de cette guinguette au bord des dunes) c'est pour ça
que les gens reviennent : c'est la sousréalité des lieux, qui
lui "donne un goût de reviens-y".
L'Oa6, oasis iophilisé, si prisé, affiche toutes
ses qualifications et ses médailles, ses certificats et ses ex-votos,
tout autour de la sonnette electrique de l'hôtel, telle une rosace de
dentelle, que tout un chacun peut scruter, comme un philatéliste avec
sa loupe ...
Dommage qu'il n'y ait plus l'électricité (le solaire est en jachère).
Plus personne ne passe par la porte, et donc n'a le loisir d'observer cette
composition historique, seul patrimoine culturel à la ronde.
Mais le gong fait bien l'affaire. Il en a sauvé plus d'un.
De l'ostracisme.